Jacques Attali, les deux pieds dans l’horreur hygiéniste

Publié le par Eric Primault

Jacques AttaliCela ne suffit visiblement plus d’harceler et d’effrayer  la population avec des images traumatisantes, des slogans chocs : pour Jacques Attali, il faut donc purement et simplement interdire le tabac, sa vente, sa production et sa consommation, au nom d’une sacro-sainte santé publique qui tourne à l’horreur hygiéniste. Ce faisant (et compte tenu de l’intelligence du monsieur, gageons qu’il le fît consciemment), Attali s’inscrit dans un mouvement idéologique en constante progression parmi les élites ambitionnant de s’emparer des libertés individuelles jusqu’au plus profond de la conscience des citoyens : un néo-paternalisme angoissant qui, étape après étape, prend les contours d’une pensée rien de moins que totalitaire.

 

Vous allez penser : encore le délire d’un fumeur qui s’arque-boute maladivement sur sa petite passion honteuse. Figurez-vous qu’au contraire, je hais la clope et ses cousins. Grâce à certaines des lois votées ces dix dernières années, j’ai même constaté que si l’on voulait, on pouvait aujourd’hui vivre dans une atmosphère presque débarrassée de cette fumée puante et nocive, et cela devrait suffire à tout adversaire raisonnable de l’herbe à Nicot. Par ailleurs, compte tenu de la densité des informations tous azimuts dont on dispose sur ses effets néfastes, compte tenu de l’arsenal législatif qui empêche tout tabagisme passif ou presque, compte tenu que jusqu’à ce que ce néo-paternalisme ne nous submerge définitivement, un citoyen majeur et correctement informé devrait être libre de vivre sa vivre comme il l’entend (en particulier dans son rapport à sa propre santé), la consommation de tabac devrait rester permise, aussi néfaste fut-elle pour son adepte.

 

fumer tueCar après la tabac, quoi ? L’alcool (tous les alcools !) ? La voiture ? L’avion ? (la pollution atmosphérique, combien de morts ?) ? Les aliments gras, sans doute au moins aussi dangereux que la cigarette ? Fini le McDo, mais aussi le cassoulet, et tous à la pilule plein de bons nutriments et saturée de bonne morale alimentaire ! Le sexe, tiens pourquoi pas ? Après tout, pas de sexe, pas de Sida, pas de dépenses de santé et pas de morts ! Le Meilleur des Mondes est hygiéniste et l’enfer pavé d’études médicales. La télé ? Très dangereuse elle aussi… Internet ? Ce truc qui rend terroriste ? Fini ! Les jeux vidéo ? Il serait dommage de rater une telle occase, et puis ça pousse au meurtre, tout le monde le sait…

 

Il y a fort à parier qu’Attali n’est pas partant pour toutes ces interdictions, seulement celles frappant des produits étrangers à son quotidien. C’est un des aspects de ce néo-paternalisme : il se double le plus souvent d’un égocentrisme forcené, d’un nombrilisme obtus, toujours prompt à censurer, interdire, réglementer, mettre sous éteignoir les passions, pensées, habitudes et référents culturels des autres, systématiquement infantilisés et par conséquent invités à déléguer leur vie aux élites intellectuelles qui savent, elles. C’est ainsi que la plupart des appels à la censure, à la réglementation des pratiques individuelles, participent, parfois à l’insu de ceux qui pensent bien faire en soutenant ces mesures, à cette dérive. Totalitarisme en vue !

 

cigaretteIl y a autre chose derrière l’érudition déviante d’Attali : un écran de fumée du type de ceux que le néo-capitalisme vicieux, que l’on nous vend comme seul mode de pensée possible, tend de plus en plus fréquemment. Donner le change et faire croire que l’on agit pour la santé, pour mieux dissimuler les travers d’une gestion politique qui met l’ex-meilleur régime de santé du monde en pièces au profit d’un logique comptable profondément inégalitaire, mais néocapitalisto-compatible. En prenant comme référence diabolique le Médiator (ex-médicament chouchou du pouvoir, devenu honni en un clin d’œil de polémique), Jacques Attali ne s’embarrasse pas de rigueur intellectuelle : au diable la bonne foi, et comparons gaiement un produit récréatif qui n’a jamais prétendu soigner personne, et un médicament censé guérir, et dont on a forcé la consommation grâce à un mécanisme de promotion qui n’a en revanche rien à envier, en terme de vice, à celle des marques de clopes.

 

 Quelle autre logique pourrait en effet pousser un esprit aussi cultivé qu’Attali à lancer une telle idée au mépris des leçons du passé ? La prohibition ne fonctionne pas. Elle enfonce le consommateur dans un monde sans foi ni loi où règne la contrebande, le trafic, le produit frelaté, les méthodes d’acheminement inhumaines. Les Etats-Unis des années 20 en fournirent la preuve indiscutable, qui devrait suffire à annihiler toute envie de retenter l’expérience. Les diverses interdictions maintenues voire récemment confortées (drogues illégales, prostitution, euthanasie, mères-porteuses, etc.) au mépris de la liberté de disposer de soi nous le rappellent quotidiennement, pour qui sait voir les choses telles qu’elles sont et non pas à travers le prisme de la morale. C’est à se demander si Attali pense réellement ce qu’il dit, ou si sa sortie n’a finalement d’autre but que de couvrir les insoutenables errements actuels du gouvernement Fillon en matière de santé publique. Diversion ou pas, Jacques Attali a lancé son idée, de celles que l’air du temps, toujours prompt à étouffer le citoyen, soutient et qui, sauf à ce que l’opinion se réveille, pourrait devenir l’élément majeur d’un avenir décidément bien sombre.

Publié dans Actualité - politique

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A
<br /> <br /> L'hygiénisme est en général la pensée de ceux qui se croient de l'esprit et qui n'ont pas d'âme. Je crains beaucoup pour monsieur Attali...<br /> <br /> <br /> Ce qui ressort de l'attitude de ce monsieur qui fait ainsi parler de lui-même, c'est qu'il est contaminé par le virus qui menace gravement la société : l'intolérance, et son jumeau<br /> mathématico-juridico-social, la "tolérance zéro".<br /> <br /> <br /> Ce sont des gens comme celui qu'à juste titre vous dénoncez qui donnent à croire à certaines banlieues que l'extrémisme seul est la voie de la réussite.<br /> <br /> <br /> Merci de l'avoir fait.<br /> <br /> <br /> <br />
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