蝶の羽ばたき (le battement d'ailes d'un papillon)

Publié le par Skopkall

 

Comme je le signalais au début d’un précédent article, Pixels-et-politique est resté muet durant plus de vingt jours, soit du 3 au 25 mars pour être précis. Ces premiers jours de mutisme sont tout simplement dûs à des vacances, inutile de revenir là-dessus. C’est au matin de notre retour que la nouvelle d'un important séisme au Japon nous est parvenue.


Hinomaru.gifLes jours qui ont suivi furent assez pénibles : l’inquiétude pour les amis vivant là-bas, l’augmentation progressive du terrible bilan, bientôt occulté par l’accident nucléaire, loin d’être résolu, à la centrale n°1 de Fukushima. Il aurait été possible d’utiliser Pixels-et-politique pour couvrir cet événement tragique, fournir quelques informations pratiques, voire corriger les nombreuses erreurs et approximations entendues un peu partout. Je n’en ai pas eu la force et je le regrette. Rien que de partager un simple lien sur le sujet sur Facebook m’a pris plusieurs jours. J'ai été juste bon à zapper de sites en sites, de chaînes en chaînes à l’affût constant de nouvelles informations, à lire les dizaines de témoignages publiés, constater la très grande diversité des comportements parmi mes amis présents sur place, entre ceux qui se réfugient à Kyoto ou Hiroshima, ceux qui rentrent en France et ceux qui restent à Tokyo, soit par fidélité au pays d’accueil, soit par nécessité, soit par défi. Hors de question, bien entendu, de juger les décisions ou les propos des uns ou des autres. Je n’ai pas été secoué par le séisme ; je n’ai pas eu à subir l'incroyable manque de tact de l’ambassade ; je n’ai pas eu à subir les appels inquiets de proches m’implorant de rentrer au pays. Je ne sais pas, tout simplement, je n’ai rien à en dire. J’ai passé deux bonnes semaines sous le choc d’une catastrophe qui, si elle n’est pas étonnante en soi, marque par sa violence et son arbitraire absolu, sans doute aggravé par le fait qu'elle ait touché le Tohoku, une région que j'ai parcourue et appréciée et qui m'est donc un peu familière. C’est un sentiment d’impuissance comme on en ressent rarement et je suis quelque part content de ne pas avoir eu à m’en occuper professionnellement. Le rire en a été un des remèdes ; il aurait été désastreux d’interdire (ou de s’interdire) de rire de cette catastrophe, même si, là encore, on pourrait comprendre que des gens soient choqués par cette façon de dissiper son angoisse.


Autant le dire, le traitement de l’information côté français n’a rien fait pour permettre aux lecteurs-spectateurs dont j’étais de reprendre leurs esprits. Pour être franc, les chances sont plus grandes de voir le gouvernement japonais, la TEPCO et toute l’industrie nucléaire mondiale tirer les leçons de Fukushima, que de voir la presse française prendre conscience de la médiocrité, de l’indécence parfois, de son comportement d’ensemble durant cette crise. Devant ce sensationnalisme écœurant, un tel amoncellement de titres trompeurs, de raccourcis stupides, de déclarations contradictoires, devant l’opportunisme des écolos en campagne et autres trafiquants d’émotion, devant, surtout, l’insupportable nombrilisme d’une bonne partie de la presse qui a commencé à ne s’intéresser qu’à l’arrivée sur la France d’un panache radioactif dilué plusieurs millions de fois, devant les accusations de dissimulation portées à la presse japonaise, à qui l’on a reproché finalement de s’en limiter aux faits sans verser dans la fable apocalyptique, devant ce flux incessant d’infos et de désinfo, la colère et parfois la honte ont pris le dessus sur la tristesse et l’inquiétude. Résultat : comme le battement d’ailes d’un papillon, que l’on imagine capable de provoquer un orage à l’autre bout de la planète, un rejet de vapeur radioactive à Fukushima provoque des comportements délirants en France. Et même parmi les résidents français à Tokyo, comme en témoigne cette désormais célèbre vidéo d’un homme dont la mauvaise foi certaine (prendre deux chaînes de télé pour toute forme de preuve de l’absence d’infos, c’est un peu se moquer du monde, panique ou pas…) a eu le don de me mettre définitivement hors de moi :

 

 

Même si on ne peut qu'être interloqué devant le fait que certains Français aient  notamment boudé les restaurants de sushis (c’est tout de même franchement idiot), il ne s’agit pas de jeter la pierre à ceux qui ont pris des mesures de précaution excessives, voire dangereuses, comme s’administrer des pilules d’iode, par exemple. J’ai l’âge d’avoir connu Tchernobyl, sa litanie des mensonges et de falsifications. Tout juste faut-il garder un peu de sang-froid : avec l’abondance de sources indépendantes d’information sur le nucléaire sur le net et ailleurs, une telle opacité de la part des responsables n'est plus possible. Si inquiétude il doit y avoir, c'est pour les habitants des environs de la centrale, pas pour nos pommes en France! Pour ma part, et histoire de redonner un peu de lustre au journalisme français, je voudrais tirer un coup de chapeau à Sylvestre Huet, journaliste scientifique à Libération, dont le blog fournit constamment des informations rigoureuses et complètes sur la situation à la centrale n°1 de Fukushima. On n’en dira malheureusement pas autant des autres journalistes, y compris ceux de Libé, de leurs titres parfois honteusement racoleurs ou de leur amateurisme dans le traitement des sources en japonais. Quant à Nicolas Demorand, il nous a rédigé pour son baptême du feu quelques éditos d’une rare vacuité.


charite-japon.jpgAutre détail propre à susciter l’incompréhension : le très faible temps d’antenne accordé aux collectes de fonds. Contrairement aux précédentes catastrophes d’une ampleur comparable, aucune chaîne de télé à ma connaissance n’a offert de plage de publicité pour appeler aux dons et on ne trouve que très peu de liens dans la presse Internet vers les sites des ONG présentes sur place. On en ressort avec le sentiment tenace que parce que le Japon est un pays riche, ses organismes humanitaires peuvent faire face sans aide particulière aux besoins des sinistrés. Les témoignages sont pourtant formels : il y a un grand besoin d’argent, en particulier pour loger les sans-abri. Alors pour conclure cet article en faisant œuvre utile, voici le lien de la Croix-Rouge pour venir en aides aux victimes de cette catastrophe. Par ailleurs, parmi les nombreuses manifestations culturelles organisées en soutien dans toute la France, notons celle-ci, dans les locaux de l’école de langues A.A.A., 21 rue d’Antin dans le deuxième arrondissement de Paris, demain dimanche 2 avril. Calligraphie, soins esthétiques, cérémonie du thé, concerts, restauration et ventes aux enchères notamment y sont organisés tout l’après-midi, au bénéfice de la Croix-Rouge japonaise. L’occasion pour les Franciliens d’un moment de détente dans une ambiance japonaise et de faire une bonne action. Enfin, à notre modeste niveau, badgeek reversera tous les bénéfices des ventes de sa boutique à la Croix-Rouge également, et ce jusqu'au mois de mai.

 

 

 

Publié dans Actualité - politique

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